9 mars 2010

L'attente qui tue: Shame on us all! (blog de Joanne Marcotte)



Je ne trouve pas d'expression en français qui traduit mieux le sentiment que j'éprouve en constatant ce qui arrive dans les urgences des hôpitaux et surtout ce que l'on fait subir aux gens qui attendent pour une chirurgie, qui attendent... à mort.

Non. La honte n'existe plus au Québec. Ça doit être un sentiment dépassé. Cette nouvelle passera comme bien d'autres. Les politiciens feront leur show, blâmeront le ministre Bolduc et le premier ministre Charest et voudront "scorer" en se montrant sincèrement désolés. Dans quelques jours, on n'en parlera plus.

Le jugement Chaoulli était pourtant clair. En 2005, la Cour suprême du Canada reconnaissait que l'attente pouvait menacer la vie des citoyens. Qu'a fait le gouvernement Charest et le ministre Couillard de l'époque? Instituer ce qu'il a nommé "la garantie de services" et permis l'assurance privée pour les chirurgies de la hanche, du genou et de la cataracte. Quelle farce! Alors qu'il aurait pu saisir l'opportunité de revoir de fond en comble les vices cachés d'un système qui étouffe, qui a pris du poids et qui vieillit très mal.

Parce que cela ne fonctionne juste pas! Voilà qu'en chirurgie cardiaque, 25% des gens sont opérés hors délai et certains meurent à attendre. Et on ne parle pas des autres types de chirurgies qui sont relégués à la fin de la liste, question de bien desservir les statistiques de la hanche, du genou et de la cataracte. Ça, on n'en parle pas encore, mais pour qui veut parler de véritable équité et de justice sociale, comment accepter ça?

En effet, le ministère de la Santé, via ses agences, presse les directions d'hôpitaux de bien "faire paraître" les statistiques des urgences. Les médecins spécialistes baissent les bras et ne dénoncent pas assez ouvertement les problèmes d'organisation du travail dans les hôpitaux. Le personnel infirmier détenant le plus d'ancienneté refuse la rotation des quarts de travail, ce qui rend attrayant les agences privées pour les plus jeunes.

Les médias, quant à eux, font sensation lorsqu'ils affichent à la une des statistiques sur l'attente aux urgences. Bien sûr, c'est leur devoir de le faire, mais pourquoi ne pas chercher plus loin les véritables causes? Dans le cas de M. Pitre, mort d'avoir attendu trop longtemps sa chirurgie cardiaque, y a-t-il un média qui interrogera le directeur de l'établissement? Le directeur des soins de santé de l'établissement? Le Conseil d'administration de l'établissement? N'est-ce pas là le véritable lieu d'imputabilité? Pourquoi pas leur faire cracher le morceau et les véritables travers d'un système de santé qui s'épuise, épuise et tue?

Bien sûr que non. Ils joueront le jeu des politiciens. Beaucoup plus confortable.

Le citoyen, inconscient du poids de son geste, continuera de se présenter à l'urgence d'un hôpital, faute d'avoir fait l'effort d'aller consulter dans une clinique de première ligne. Et que penser des personnes en perte d'autonomie qui se retrouvent à occuper des lits à l'hôpital quand on sait bien que les soins dont elles ont besoin peuvent et doivent être dispensés autrement?

Personne ne concède et tous tiennent à leurs acquis: à leurs horaires, à leurs habitudes et à leurs avantages. Aucun leadership à l'horizon: ni de la part des médecins, ni d'autres regroupements de professionnels, ni de la classe politique. Quel vide! Quel néant!

Quant à la population, elle continue de s'illusionner quant aux possibilités de réformer ce système de l'intérieur et vote encore pour un parti qui promet l'impossible. Les propagandistes de la gratuité et des monopoles dans le financement et dans la prestation des soins ont toujours gain de cause, particulièrement lorsque le Québec est gouverné par une équipe qui n'a pas le moindre gène réformateur en son sein! Plutôt laisser crever les gens...

Eh bien bravo! Voilà ce que vous gagnez à vouloir, à tout prix, sauvegarder un système encrassé, pollué d'intérêts corporatistes, politisé et technocratisé à l'extrême, qui épuise les artisans qui y oeuvrent et qui tue les patients. Y'a de quoi être fier!

Non. La honte n'existe plus au Québec. Nous n'espérons plus rien les uns des autres. On tolère le nivellement pas le bas, on tolère le décrochage, on tolère l'attente et nous en sommes rendus à accepter l'inacceptable: une attente qui tue.

Pour cela comme pour autre chose, oui, nous devrions tous avoir honte! Shame on us all!



http://jmarcotte.blogspot.com/2010/03/lattente-qui-tue-shame-on-us-all.html
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