http://www.cyberpresse.ca/article/20061220/CPSOLEIL/61220113/5287/CPOPINIONS
Vais-je aller en prison?
Rosaire Vaillancourt, md frcsc
Chirurgien thoraciqueHôpital Laval, Québec
(À Jean Charest)D’entrée de jeu, je vous demanderai de ne pas pelleter ma lettre dans la cour de Monsieur Couillard. C’est vraiment à vous que je m’adresse. De plus, je vous rassure et vous confirme que cette lettre, une initiative personnelle n’est pas téléguidée par la FMSQ, bien que je supporte la légitime défense dont ils font preuve depuis votre loi de cet été. Je sais qu’il y a de lourdes pénalités prévues pour toute action concertée de la part des spécialistes qui diminuerait l’offre de service aux patients. Avez-vous prévu l’action concertée pour nous forcer à ralentir?En effet, alors que depuis cinq ans et demi que je pratique à l’Hôpital Laval, en chirurgie thoracique, j’opérais 165 à 170 patients par année, en date du 22 décembre prochain, dernière journée opératoire en 2006 pour moi, j’aurai opéré 30 patients de moins qu’en 2005, soit 140. Vais-je aller en prison?
Un cercle vicieux
À ma défense, je vous dirai que la règle d’or qu’on nous force à respecter le plus possible à la salle d’opération, ce n’est pas d’opérer le plus de patients possibles ou selon les besoins cliniques, mais bien de finir d’opérer avant 16h! Ce n’est pas de la mauvaise volonté ni administrative ni des infirmières ni des anesthésiologistes. Le sous-financement chronique fait qu’il manque de personnel et le manque de personnel force le temps supplémentaire qui engendre encore plus de manque de personnel par épuisement ou écoeurement, bref le cercle vicieux en spirale descendante. À un patient par jour, et à un ou deux jours par semaine, vous comprenez que la liste d’attente ne baisse pas vite. Il est vrai que j’opère 60% de mes patients en vidéo et que cela coûte plus cher. Dommage que le bloc opératoire ne reçoive pas une ristourne sur les durées de séjour post-opératoires raccourcies. Dommage que les employeurs des gens qui retournent ainsi plus vite au travail ne nous donnent pas une ristourne non plus. Çà ce serait un vrai PPP à l’avantage de la société.
Le recrutement, pas facile...
Le malheur dans mon service cette année est que nous avons eu le bonheur de recruter en janvier un nouveau collègue avec des compétences bien spécifiques qui s’ajoutent à notre éventail de services spécialisés qui forment notre mission. On savait depuis deux ans qu’il arriverait. Plus encore, un autre chirurgien devait se joindre à nous en juillet, mais voyant l’accueil en temps opératoire supplémentaire (0) et en équipement sur-spécialisé (0) au dernier arrivé, il a, sans surprise, décidé de rester en Ontario, où on l’avait envoyé se former pour enrichir notre milieu. Quand, en plus du temps opératoire et de l’équipement, on vous offre un salaire «de base» d’au moins 100 000$ de plus que le nôtre, les décisions de vivre en anglais deviennent plus facile! En parlant de bonheur professionnel qui devient un malheur pour le service, vous aurez compris, j’en suis sûr, que la baisse du nombre de chirurgies pour moi cette année est un effet de dilution dû à l’arrivée d’un nouveau chirurgien, ce qui apporte très peu à la population. Pourtant je vous assure que les besoins sont là et c’est dommage.ComparaisonsPour ne pas vous irriter avec des comparaisons inter-provinciales, ce qui permet d’affirmer plus facilement qu’on «brille parmi les meilleurs», laissez-moi au moins vous dire qu’à l’Institut Mutualiste Montsouris à Paris, où j’ai passé une année sabbatique en 2000, on a opéré en 2005 avec trois pneumologues et trois chirurgiens thoraciques, 750 patients. En 2005 à l’Hôpital Laval, (19 pneumologues et trois chirurgiens) : 559. Cette année nous sommes 20 pneumologues et 4 chirurgiens thoraciques. En date du 18 décembre, nous avons opéré 612 patients. Vendredi, dans trois jours, le bloc sera fermé pour environ deux semaines jusqu’en 2007. Gérer la liste d'attenteDepuis la fin novembre, j’ai commencé à «choisir», au meilleur de mon jugement clinique, les cancers ou autres lésions suspectes qui devraient pouvoir attendre en janvier ou février. Les deux dernières années, j’ai opéré à la fin février-début mars, les derniers cancers d’avant Noël. On verra bien cette année…Que dire de cette frustration fréquente d’opérer des tumeurs qui sont nettement plus grosses que sur les examens radiologiques faits plusieurs semaines plus tôt.Et je ne vous parle pas des patients sur ma liste qui ont — encore le concept bonheur-malheur — la chance de ne pas avoir un cancer mais le malheur d’attendre des mois des chirurgies pulmonaires ou oesophagiennes pour des conditions bénignes, certaines à risque de complications sérieuses, ou qui leur empoisonne leur qualité de vie. Pour les plus jeunes avec des malformations thoraciques sévères, je dois leur dire que mon délai actuel est entre 1an et demi et trois ans. J’essaie de prioriser les patients sur la CSST et la SAAQ que je vois pour une condition spécifique à ma spécialité, mais là encore, les attentes sont en mois.
En cette période pré-électorale je vous direz monsieur Charest : Je suis prêt!
Je suis prêt à opérer plus. Mais cette année, une action concertée m’a obligé à diminuer encore la cadence. D’ailleurs mon revenu baissera en conséquence. Et au cas où vous me diriez que justement, l’augmentation revendiquée par la FMSQ est déraisonnable, je vous répondrez que l’augmentation demandée en mon nom me consolera de me casser la tête à trier mes patients en risques cliniques et à leur expliquer quotidiennement les raisons des nombreux délais et à réviser avec mes trois autres collègues tous les jeudis matin notre liste d’attente pour gérer au mieux le dommage chronique et me faire l’avocat (sans les honoraires) de mon patient pour négocier un examen plus vite ou du temps opératoire supplémentaire. Et cela me consolera pour les fois où je dois vivre avec la déception d’avoir mal anticipé une complication ou une évolution tumorale plus rapide que prévue sur ma liste d’attente. Investir plusQuand on essaie de soigner chaque personne comme si c’était un membre de notre famille, soit la norme de la grande majorité de mes collègues médecins, vous comprendrez mon désarroi. Le Québec est la province qui investit le moins per-capita au pays (désolé pour la comparaison) dans les soins de santé, et çà parait. Et alors que d’autres provinces sont en équilibre budgétaire réel (pas comptable si j’ai bien compris le Vérificateur) malgré ces dépense plus lourdes, je me demande où va l’argent. Et comme c’est vous qui, ultimement, gérez notre argent, vous comprenez pourquoi je m’adresse à vous.En terminant, je me permets de partager cette lettre publiquement, au cas où d’autre personnes auraient de bonnes idées à vous lancer et je vous répète : Je suis prêt