http://physicianhr.ca/reports/OccHRSummary-f.pdf
Quelques bonnes pistes a explorer pour le recrutement de medecins en région, incitatifs ,
28 novembre 2006
soins privés ou privé de soins?
PAR CATHERINE DUBÉ
Qui plafonne?
Omnipraticien en clinique privée: 53250$ par trimestre.
Spécialiste en clinique privée: 152000$ par semestre.
Ils reçoivent 25 pour 100 du tarif pour les consultations supplémentaires.
Omnipraticien et spécialiste en hôpital: aucun plafond.«Si on ne vous opère pas rapidement, vous ne marcherez plus», annonce le rhumatologue à Rita Fyfe en février 2003. Problème pour cette retraitée de Saint-Rémi, âgée de 72 ans: le délai d’attente est de quatre à cinq mois à l’Hôpital du Sacré-Cœur, à Montréal, et… d’un an et demi à Châteauguay. Finalement, en avril, elle décide de s’adresser à une clinique privée. Elle rencontre le Dr Nicolas Duval, chirurgien orthopédiste, qui l’opère le mois suivant. Coût de l’intervention: plus de 10 000 $, qu’elle paie de sa poche.
Si elle n’avait pas eu cette somme, Rita Fyfe aurait dû attendre beaucoup plus longtemps, et ce sont les contribuables qui auraient réglé la note. Sauf que celle-ci aurait été plus salée puisque la patiente aurait nécessité davantage de soins post-opératoires. «Plus un malade attend pour son intervention, plus son état se dégrade, et moins vite il récupère», explique le Dr Duval.
Inefficace, onéreux, notre système de santé est si mal en point que les solutions présentées par les partisans du privé semblent de plus en plus séduisantes. Même nos politiciens, malgré leur refus «officiel» d’un régime à deux vitesses, ont laissé le privé se tailler une place au soleil. On peut ainsi passer une échographie du sein pour 90 $ ou se faire opérer la cheville pour 2500 $ sans avoir à patienter sur une liste d’attente.
Mais, quand on parie sur le privé pour sortir le régime public de la crise, de quel privé parle-t-on? S’agit-il du système que préconisent Léon Courville et Paul Daniel Muller dans leur livre Place à l’initiative (préfacé par Mario Dumont), où les citoyens seraient libres de s’assurer pour des services couverts par l’Etat? Ou vaut-il mieux – comme le recommande Michel Clair, qui a présidé en l’an 2000 la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux – privilégier un secteur privé «à la française», c’est-à-dire partiellement financé par l’Etat tout en conservant un secteur public à couverture universelle? A moins qu’on ne veuille un système hybride?
Et ailleurs…
Aux Etats-Unis, l’Etat couvre généralement les soins de santé des personnes âgées et à faible revenu par le biais de Medicare et Medicaid. Le reste de la population est tenu de souscrire une assurance privée pour couvrir ses dépenses de santé, à moins qu’une telle assurance ne fasse partie des avantages sociaux accordés par l’employeur. Soumis aux lois du marché, le prix des consultations et hospitalisations varie énormément.
En France, les deux tiers des hôpitaux sont gérés par le privé, dont la moitié dans le cadre d’un financement public. Les médecins du privé facturent les patients, qui se font ensuite rembourser en partie ou en totalité par la Sécurité sociale. Environ le quart des médecins a droit à un dépassement d’honoraires. Beaucoup de Français jouissent d’une assurance complémentaire.
En Suède, le système est largement public, mais s’ouvre au privé. Deux hôpitaux ont été vendus à des sociétés cotées en Bourse ; les patients y paient les interventions. Ils ont le droit de contracter une assurance privée pour couvrir ces soins. D’autres hôpitaux ont une gestion privée, mais leur financement demeure public. Une partie des soins de première ligne est offerte par des centres médicaux privés qui agissent à titre de sous-traitants.«Quand on évoque l’avenir du système de santé et la place que l’on veut accorder au privé, on ne doit pas le faire dans une perspective technique, mais idéologique », rappelle André-Pierre Contandriopoulos, professeur au Département d’administration de la santé à l’Université de Montréal.
Pour l’instant, différents courants du privé s’expriment au Québec, mais dans un grand flou politique où les chantres de la privatisation côtoient les inconditionnels du public.
«La privatisation de la santé n’est pas aussi inévitable qu’on veut nous le faire croire, estime le journaliste Yanick Villedieu, auteur d’Un jour la santé. Entre 1975 et 1995, on a certes observé une tendance à la privatisation dans plusieurs pays comme l’Australie, la Suède, le Danemark et le nôtre ; mais on a aussi constaté la tendance inverse dans un nombre encore plus important de nations, dont la France, la Belgique et le Japon, qui ont en quelque sorte bonifié leurs programmes publics.»
Le privé est déjà là«Quand on parle de privé, il faut préciser si on parle de financement ou de prestation de soins et services, deux choses très différentes», insis-te Michel Clair. Le système de santé québécois, financé par des fonds publics, achète déjà des services tels que buanderies et cantines auprès d’entreprises privées.
Dans les cliniques médicales, les services sont fournis par le privé, puisque les médecins sont propriétaires de leurs cliniques et qu’ils paient eux-mêmes leur local, leur matériel, le salaire de leur réceptionniste et de leur infirmière. (Mais leurs revenus proviennent de l’Etat. La Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) verse 15,70 $ à un omnipraticien pour une consultation ordinaire – contre les 10 $ perçus par un médecin à la clinique externe d’un hôpital – pour les frais de fonctionnement de son établissement.)
Ce recours au privé est toutefois très encadré par l’Etat. «Les médecins n’ont pas le droit de facturer aux patients des frais autres que les médicaments et produits d’anesthésie», précise Nathalie Pitre, porte-parole de la RAMQ. Ils ne peuvent pas demander de frais supplémentaires pour payer une infirmière ou du matériel médical, par exemple. De plus, les revenus des médecins en clinique privée sont plafonnés: une fois ce plafond atteint, le praticien se voit amputé de 75 pour 100 de ses revenus.
Pas de quoi inciter les jeunes médecins à se lancer dans l’aventure. Léon Courville propose de faire sauter ce plafond. «Il nuit au service de première ligne, dit-il. Quand les médecins l’atteignent, ils prennent des vacances jusqu’au prochain trimestre.» Plutôt que de le supprimer, le ministère de la Santé a préféré le relever (voir encadré). Le supprimer serait en effet une erreur puisqu’il répond à un but précis : inciter les médecins à fournir des soins à l’hôpital, où il n’y a pas de plafond. «Parmi mes collègues qui, comme moi, travaillent à la fois en cabinet et à l’hôpital, personne n’atteint le plafond», déclare le Dr Françoise Jasserand, omnipraticienne à l’Hôpital général juif et en clinique privée à Montréal.
La fin des listes d’attente?
Couvert ou pas?
Domaine du diagnosticLes échographies, tomodensitométries, résonances magnétiques et analyses de laboratoire sont couvertes par la RAMQ si elles sont pratiquées en hôpital, mais non si elles sont faites en clinique privée.
Domaine des soinsLa Régie de l’assurance maladie couvre les soins médicalement requis, ce qui exclut l’acupuncture, la chiro-pratique, la chirurgie esthétique et d’autres services. Le rapport Clair propose de pousser d’un cran le partenariat privé-public en facilitant l’installation de spécialistes en cliniques privées. «On pourrait désengorger les hôpitaux en délocalisant tout ce qui ne nécessite pas d’infrastructure et de soutien hospitaliers », explique Michel Clair. Il existe déjà des cliniques spécialisées en ophtalmologie, en radiologie, en chirurgies d’un jour. Le partenariat privé-public consisterait à en ouvrir encore davantage, et dans plusieurs autres spécialités, et à les affilier à des hôpitaux dont elles seraient un prolongement. Ces cliniques seraient exclusivement financées par des fonds publics.
En attendant, le Dr Nicolas Duval souhaite que les cliniques comme la sienne servent de soupape de sécurité quand le délai acceptable pour obtenir des soins dans le public est dépassé. L’Etat paierait pour l’acte chirurgical comme il le ferait dans un hôpital public. Selon cette logique, Mme Fyfe n’aurait pas eu à débourser 10 000 $. Son rhumatologue l’aurait adressée au Dr Duval, et c’est la Régie de l’assurance maladie qui aurait réglé les honoraires de ce dernier.
«Quand je travaillais dans le public, ma liste d’attente pour une opération du pied non urgente atteignait deux ans», dénonce l’orthopédiste André Perreault, qui n’avait alors accès au bloc opératoire qu’un jour par semaine. «Les hôpitaux manquent d’anesthésistes, d’infirmières et de lits pour la convalescence, souligne ce dernier. Les salles d’opération sont évidemment utilisées en priorité pour les cas urgents.» Depuis qu’il a ouvert sa clinique privée, le simple fait d’avoir accès à sa propre salle d’opération lui permet d’opérer deux fois plus de patients.
Le Dr Norman Kalant, membre de la Coalition des médecins pour la justice sociale, ne voit pas d’un bon œil ces cliniques spécialisées affiliées: «Si le spécialiste est propriétaire de l’équipement, la tentation sera forte de prescrire sans justification valable des tests ou des interventions pour drainer des revenus supplémentaires, comme cela se fait aux Etats-Unis.»
Selon lui, pour réduire les listes d’attente, il suffirait de les coordonner de manière à éviter que le nom d’une personne ne se retrouve sur plusieurs. «En Ontario, fait-il observer, on a ainsi fait baisser de plusieurs semaines le délai pour une opération cardiaque.»
Le «vrai» privé
Le privé en chiffres
Au Québec, environ 27% des dépenses de santé sont déjà privées, c’est-à-dire payées par les patients ou leur assurance privée. Exemples: les soins dentaires, les médicaments, l’ostéopathie, l’acupuncture, etc. En 1980, les dépenses privées ne représentaient que 18,5% de l’ensemble des dépenses de santé.Au Québec, un petit réseau totalement privé s’est développé parallèlement au système public.
Ici, c’est la carte de crédit qui prime. En quelques mois, Gisèle Duhaime, une Montréalaise de 72 ans, s’est offert deux visites à domicile d’un généraliste à 100 $ la consultation, une opération du pied à 1800 $ et l’élimination de ses cataractes pour 2600 $. Dans le domaine du diagnostic – radiologie et analyses de laboratoire –, un système à deux vitesses existe déjà depuis longtemps: ceux qui ont les moyens ou une assurance collective privée obtiennent en général rapidement un rendez-vous dans l’une des quelque 100 cliniques privées de radiologie. Les autres attendent leur tour pour un examen gratuit à l’hôpital.
«Si elle avait attendu trois mois pour une échographie à l’hôpital, une de mes patientes ne serait plus de ce monde, observe le Dr Françoise Jasserand. Elle a payé 95 $ dans une clinique privée, et on lui a découvert un cancer de l’ovaire très avancé.»
Sur les quelque 18 000 médecins que compte le Québec, 22 omnipraticiens et 46 spécialistes, soit respectivement 0,12% et 0,25% du total, ont choisi de se retirer du régime public de santé. Ces médecins facturent directement leurs clients. Et pas d’assurance privée possible dans ce cas. L’article 15 de la Loi sur l’assurance maladie l’interdit quand il s’agit de services couverts par la RAMQ. «Pourquoi ne pas donner la liberté aux gens de souscrire une assurance?» demande Léon Courville.
Le généraliste Jacques Chaoulli est du même avis; il a mené une bataille devant la Cour suprême pour contester cette disposition de la loi. Une démarche qui, pour certains, revient à ouvrir une boîte de Pandore.
«Si ce verrou saute, on assistera à l’effritement de l’égalité d’accès aux soins», craint André-Pierre Contandriopoulos. A son avis, les assureurs privés profiteraient de la brèche pour envahir l’ensemble du marché des soins de santé. On a déjà deux catégories de citoyens, ceux «avec assurance» et ceux «sans», pour des soins jugés non essentiels comme l’acupuncture ou la physiothérapie. Qu’est-ce que ce serait si ces deux catégories s’appliquaient à des soins aussi vitaux et coûteux qu’un pontage coronarien ou le traitement d’un cancer?
Les partisans du privé affirment souvent s’inspirer des modèles français et suédois, dans lesquels il existe des assurances privées couvrant des soins déjà assurés par le système public. Mais ils sous-estiment la proximité et la puissance de notre voisin américain, croit le professeur Contandriopoulos. Permettre de telles assurances au Canada serait une brèche suffisante pour que les soins de santé deviennent des services commerciaux soumis aux règles des accords comme l’ALENA, ce qui entraînerait la fin du système public, prédit-il.
La juge Ginette Piché, qui a entendu la cause du Dr Jacques Chaoulli à la Cour supérieure du Québec, a vu ce danger. «L’établissement d’un système de santé parallèle privé aurait pour effet de menacer l’intégrité, le bon fonctionnement ainsi que la viabilité du système public», a-t-elle écrit dans son jugement en février 2000.
Risques de dérapageOuvrir la porte à un financement privé du système de santé comporte d’autres risques. «Dans un système où un assureur privé rembourse les soins, c’est ce dernier qui décide des soins couverts, note Pierre-Gerlier Forest, conseiller à Santé Canada et professeur de science politique à l’Université Laval de Québec. Il peut aussi refuser d’assurer un patient à risques ou augmenter sa prime.»
Dans un tel système, les médecins ont également moins de liberté professionnelle. «Aux Etats-Unis, avant de prescrire un examen, ils doivent vérifier s’il sera couvert par l’assureur du patient», fait remarquer M. Forest. Veut-on vraiment que ce soit un assureur, plutôt qu’un médecin, qui décide des soins à prodiguer à un malade?
Au Québec, même les médecins qui ont fait le saut vers le «vrai» privé rejettent un tel système. «Il ne faut surtout pas imiter le système américain», dit le Dr Nicolas Duval, qui souhaite plutôt que le privé soit partenaire d’un système public fort.
Contrairement à une idée largement répandue, un système totalement privé coûte plus cher. «Personne ne se préoccupe de contenir les coûts», observe André-Pierre Contandriopoulos. Aux Etats-Unis, selon les statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques, les dépenses de santé par habitant en 2001 représentaient 7600 $ par année. En comparaison, le Canada a déboursé 4300 $ et la France, 4000 $. Or la population américaine n’est pas en meilleure santé pour autant. «La nécessité de générer des profits pour les investisseurs aggrave le facteur coût», dit le Dr Norman Kalant.
«En prônant la privatisation comme moyen de contenir les coûts de la santé, on semble faire abstraction de l’exemple des médicaments», souligne le journaliste Yanick Villedieu. Ils sont produits par le privé, achetés avec de l’argent privé, souvent remboursés par des assurances privées… et coûtent, en moyenne, 10 pour 100 de plus chaque année au système de santé.
Il reste qu’il existe au Québec une clientèle pour le «vrai» privé, et elle n’est pas composée que de patients aisés. «Je soigne des gens ordinaires, comme des agriculteurs et des entrepreneurs de la construction qui décident de s’endetter pour que je les opère vite», dit le Dr Duval. Pour eux, les interminables délais du public ou une convalescence en plein été se traduiraient par d’importantes pertes de revenus.
Pour de nombreux experts, le meilleur moyen de contenir la détérioration du public comme les aberrations du privé réside dans un partenariat de ces deux systèmes. «Mais il est primordial que l’on s’assure d’abord de sauvegarder les principes directeurs d’un système public fort et universel», rappelle André-Pierre Contandriopoulos.
Pour Michel Clair, le plus grand danger serait le statu quo. «Je tiens à la solidarité d’un financement public du système de santé, assure-t-il. Mais, pour garder un système à une vitesse, il faut intégrer le privé. Si on ne le fait pas, il se développera de toute façon et finira par miner la qualité du public.» Beaucoup de médecins pensent la même chose : peu importe que les services soient offerts par le privé ou le public, du moment que notre système demeure universel et financé publiquement.
«On devrait même assurer une plus grande gratuité des services du privé qui libèrent les hôpitaux, comme la radiologie et la chirurgie de la cataracte. Mes patients au salaire mi-nimum sont incapables de payer ces frais», estime le Dr Jasserand.
Stagiaire en médecine vétérinaire, Julie Collins a préféré s’endetter de 12 000 $ en se tournant vers le privé pour une opération de la hanche qui a nécessité huit semaines de convalescence. Dans le public, elle aurait subi cette intervention au milieu de l’année scolaire et aurait perdu sa session de stage, ce qui aurait retardé d’un an son entrée sur le marché du travail… et sa capacité de cotiser pour faire fonctionner le système de santé!
Un symptôme de plus que le système public a de sérieuses défaillances
Qui plafonne?
Omnipraticien en clinique privée: 53250$ par trimestre.
Spécialiste en clinique privée: 152000$ par semestre.
Ils reçoivent 25 pour 100 du tarif pour les consultations supplémentaires.
Omnipraticien et spécialiste en hôpital: aucun plafond.«Si on ne vous opère pas rapidement, vous ne marcherez plus», annonce le rhumatologue à Rita Fyfe en février 2003. Problème pour cette retraitée de Saint-Rémi, âgée de 72 ans: le délai d’attente est de quatre à cinq mois à l’Hôpital du Sacré-Cœur, à Montréal, et… d’un an et demi à Châteauguay. Finalement, en avril, elle décide de s’adresser à une clinique privée. Elle rencontre le Dr Nicolas Duval, chirurgien orthopédiste, qui l’opère le mois suivant. Coût de l’intervention: plus de 10 000 $, qu’elle paie de sa poche.
Si elle n’avait pas eu cette somme, Rita Fyfe aurait dû attendre beaucoup plus longtemps, et ce sont les contribuables qui auraient réglé la note. Sauf que celle-ci aurait été plus salée puisque la patiente aurait nécessité davantage de soins post-opératoires. «Plus un malade attend pour son intervention, plus son état se dégrade, et moins vite il récupère», explique le Dr Duval.
Inefficace, onéreux, notre système de santé est si mal en point que les solutions présentées par les partisans du privé semblent de plus en plus séduisantes. Même nos politiciens, malgré leur refus «officiel» d’un régime à deux vitesses, ont laissé le privé se tailler une place au soleil. On peut ainsi passer une échographie du sein pour 90 $ ou se faire opérer la cheville pour 2500 $ sans avoir à patienter sur une liste d’attente.
Mais, quand on parie sur le privé pour sortir le régime public de la crise, de quel privé parle-t-on? S’agit-il du système que préconisent Léon Courville et Paul Daniel Muller dans leur livre Place à l’initiative (préfacé par Mario Dumont), où les citoyens seraient libres de s’assurer pour des services couverts par l’Etat? Ou vaut-il mieux – comme le recommande Michel Clair, qui a présidé en l’an 2000 la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux – privilégier un secteur privé «à la française», c’est-à-dire partiellement financé par l’Etat tout en conservant un secteur public à couverture universelle? A moins qu’on ne veuille un système hybride?
Et ailleurs…
Aux Etats-Unis, l’Etat couvre généralement les soins de santé des personnes âgées et à faible revenu par le biais de Medicare et Medicaid. Le reste de la population est tenu de souscrire une assurance privée pour couvrir ses dépenses de santé, à moins qu’une telle assurance ne fasse partie des avantages sociaux accordés par l’employeur. Soumis aux lois du marché, le prix des consultations et hospitalisations varie énormément.
En France, les deux tiers des hôpitaux sont gérés par le privé, dont la moitié dans le cadre d’un financement public. Les médecins du privé facturent les patients, qui se font ensuite rembourser en partie ou en totalité par la Sécurité sociale. Environ le quart des médecins a droit à un dépassement d’honoraires. Beaucoup de Français jouissent d’une assurance complémentaire.
En Suède, le système est largement public, mais s’ouvre au privé. Deux hôpitaux ont été vendus à des sociétés cotées en Bourse ; les patients y paient les interventions. Ils ont le droit de contracter une assurance privée pour couvrir ces soins. D’autres hôpitaux ont une gestion privée, mais leur financement demeure public. Une partie des soins de première ligne est offerte par des centres médicaux privés qui agissent à titre de sous-traitants.«Quand on évoque l’avenir du système de santé et la place que l’on veut accorder au privé, on ne doit pas le faire dans une perspective technique, mais idéologique », rappelle André-Pierre Contandriopoulos, professeur au Département d’administration de la santé à l’Université de Montréal.
Pour l’instant, différents courants du privé s’expriment au Québec, mais dans un grand flou politique où les chantres de la privatisation côtoient les inconditionnels du public.
«La privatisation de la santé n’est pas aussi inévitable qu’on veut nous le faire croire, estime le journaliste Yanick Villedieu, auteur d’Un jour la santé. Entre 1975 et 1995, on a certes observé une tendance à la privatisation dans plusieurs pays comme l’Australie, la Suède, le Danemark et le nôtre ; mais on a aussi constaté la tendance inverse dans un nombre encore plus important de nations, dont la France, la Belgique et le Japon, qui ont en quelque sorte bonifié leurs programmes publics.»
Le privé est déjà là«Quand on parle de privé, il faut préciser si on parle de financement ou de prestation de soins et services, deux choses très différentes», insis-te Michel Clair. Le système de santé québécois, financé par des fonds publics, achète déjà des services tels que buanderies et cantines auprès d’entreprises privées.
Dans les cliniques médicales, les services sont fournis par le privé, puisque les médecins sont propriétaires de leurs cliniques et qu’ils paient eux-mêmes leur local, leur matériel, le salaire de leur réceptionniste et de leur infirmière. (Mais leurs revenus proviennent de l’Etat. La Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) verse 15,70 $ à un omnipraticien pour une consultation ordinaire – contre les 10 $ perçus par un médecin à la clinique externe d’un hôpital – pour les frais de fonctionnement de son établissement.)
Ce recours au privé est toutefois très encadré par l’Etat. «Les médecins n’ont pas le droit de facturer aux patients des frais autres que les médicaments et produits d’anesthésie», précise Nathalie Pitre, porte-parole de la RAMQ. Ils ne peuvent pas demander de frais supplémentaires pour payer une infirmière ou du matériel médical, par exemple. De plus, les revenus des médecins en clinique privée sont plafonnés: une fois ce plafond atteint, le praticien se voit amputé de 75 pour 100 de ses revenus.
Pas de quoi inciter les jeunes médecins à se lancer dans l’aventure. Léon Courville propose de faire sauter ce plafond. «Il nuit au service de première ligne, dit-il. Quand les médecins l’atteignent, ils prennent des vacances jusqu’au prochain trimestre.» Plutôt que de le supprimer, le ministère de la Santé a préféré le relever (voir encadré). Le supprimer serait en effet une erreur puisqu’il répond à un but précis : inciter les médecins à fournir des soins à l’hôpital, où il n’y a pas de plafond. «Parmi mes collègues qui, comme moi, travaillent à la fois en cabinet et à l’hôpital, personne n’atteint le plafond», déclare le Dr Françoise Jasserand, omnipraticienne à l’Hôpital général juif et en clinique privée à Montréal.
La fin des listes d’attente?
Couvert ou pas?
Domaine du diagnosticLes échographies, tomodensitométries, résonances magnétiques et analyses de laboratoire sont couvertes par la RAMQ si elles sont pratiquées en hôpital, mais non si elles sont faites en clinique privée.
Domaine des soinsLa Régie de l’assurance maladie couvre les soins médicalement requis, ce qui exclut l’acupuncture, la chiro-pratique, la chirurgie esthétique et d’autres services. Le rapport Clair propose de pousser d’un cran le partenariat privé-public en facilitant l’installation de spécialistes en cliniques privées. «On pourrait désengorger les hôpitaux en délocalisant tout ce qui ne nécessite pas d’infrastructure et de soutien hospitaliers », explique Michel Clair. Il existe déjà des cliniques spécialisées en ophtalmologie, en radiologie, en chirurgies d’un jour. Le partenariat privé-public consisterait à en ouvrir encore davantage, et dans plusieurs autres spécialités, et à les affilier à des hôpitaux dont elles seraient un prolongement. Ces cliniques seraient exclusivement financées par des fonds publics.
En attendant, le Dr Nicolas Duval souhaite que les cliniques comme la sienne servent de soupape de sécurité quand le délai acceptable pour obtenir des soins dans le public est dépassé. L’Etat paierait pour l’acte chirurgical comme il le ferait dans un hôpital public. Selon cette logique, Mme Fyfe n’aurait pas eu à débourser 10 000 $. Son rhumatologue l’aurait adressée au Dr Duval, et c’est la Régie de l’assurance maladie qui aurait réglé les honoraires de ce dernier.
«Quand je travaillais dans le public, ma liste d’attente pour une opération du pied non urgente atteignait deux ans», dénonce l’orthopédiste André Perreault, qui n’avait alors accès au bloc opératoire qu’un jour par semaine. «Les hôpitaux manquent d’anesthésistes, d’infirmières et de lits pour la convalescence, souligne ce dernier. Les salles d’opération sont évidemment utilisées en priorité pour les cas urgents.» Depuis qu’il a ouvert sa clinique privée, le simple fait d’avoir accès à sa propre salle d’opération lui permet d’opérer deux fois plus de patients.
Le Dr Norman Kalant, membre de la Coalition des médecins pour la justice sociale, ne voit pas d’un bon œil ces cliniques spécialisées affiliées: «Si le spécialiste est propriétaire de l’équipement, la tentation sera forte de prescrire sans justification valable des tests ou des interventions pour drainer des revenus supplémentaires, comme cela se fait aux Etats-Unis.»
Selon lui, pour réduire les listes d’attente, il suffirait de les coordonner de manière à éviter que le nom d’une personne ne se retrouve sur plusieurs. «En Ontario, fait-il observer, on a ainsi fait baisser de plusieurs semaines le délai pour une opération cardiaque.»
Le «vrai» privé
Le privé en chiffres
Au Québec, environ 27% des dépenses de santé sont déjà privées, c’est-à-dire payées par les patients ou leur assurance privée. Exemples: les soins dentaires, les médicaments, l’ostéopathie, l’acupuncture, etc. En 1980, les dépenses privées ne représentaient que 18,5% de l’ensemble des dépenses de santé.Au Québec, un petit réseau totalement privé s’est développé parallèlement au système public.
Ici, c’est la carte de crédit qui prime. En quelques mois, Gisèle Duhaime, une Montréalaise de 72 ans, s’est offert deux visites à domicile d’un généraliste à 100 $ la consultation, une opération du pied à 1800 $ et l’élimination de ses cataractes pour 2600 $. Dans le domaine du diagnostic – radiologie et analyses de laboratoire –, un système à deux vitesses existe déjà depuis longtemps: ceux qui ont les moyens ou une assurance collective privée obtiennent en général rapidement un rendez-vous dans l’une des quelque 100 cliniques privées de radiologie. Les autres attendent leur tour pour un examen gratuit à l’hôpital.
«Si elle avait attendu trois mois pour une échographie à l’hôpital, une de mes patientes ne serait plus de ce monde, observe le Dr Françoise Jasserand. Elle a payé 95 $ dans une clinique privée, et on lui a découvert un cancer de l’ovaire très avancé.»
Sur les quelque 18 000 médecins que compte le Québec, 22 omnipraticiens et 46 spécialistes, soit respectivement 0,12% et 0,25% du total, ont choisi de se retirer du régime public de santé. Ces médecins facturent directement leurs clients. Et pas d’assurance privée possible dans ce cas. L’article 15 de la Loi sur l’assurance maladie l’interdit quand il s’agit de services couverts par la RAMQ. «Pourquoi ne pas donner la liberté aux gens de souscrire une assurance?» demande Léon Courville.
Le généraliste Jacques Chaoulli est du même avis; il a mené une bataille devant la Cour suprême pour contester cette disposition de la loi. Une démarche qui, pour certains, revient à ouvrir une boîte de Pandore.
«Si ce verrou saute, on assistera à l’effritement de l’égalité d’accès aux soins», craint André-Pierre Contandriopoulos. A son avis, les assureurs privés profiteraient de la brèche pour envahir l’ensemble du marché des soins de santé. On a déjà deux catégories de citoyens, ceux «avec assurance» et ceux «sans», pour des soins jugés non essentiels comme l’acupuncture ou la physiothérapie. Qu’est-ce que ce serait si ces deux catégories s’appliquaient à des soins aussi vitaux et coûteux qu’un pontage coronarien ou le traitement d’un cancer?
Les partisans du privé affirment souvent s’inspirer des modèles français et suédois, dans lesquels il existe des assurances privées couvrant des soins déjà assurés par le système public. Mais ils sous-estiment la proximité et la puissance de notre voisin américain, croit le professeur Contandriopoulos. Permettre de telles assurances au Canada serait une brèche suffisante pour que les soins de santé deviennent des services commerciaux soumis aux règles des accords comme l’ALENA, ce qui entraînerait la fin du système public, prédit-il.
La juge Ginette Piché, qui a entendu la cause du Dr Jacques Chaoulli à la Cour supérieure du Québec, a vu ce danger. «L’établissement d’un système de santé parallèle privé aurait pour effet de menacer l’intégrité, le bon fonctionnement ainsi que la viabilité du système public», a-t-elle écrit dans son jugement en février 2000.
Risques de dérapageOuvrir la porte à un financement privé du système de santé comporte d’autres risques. «Dans un système où un assureur privé rembourse les soins, c’est ce dernier qui décide des soins couverts, note Pierre-Gerlier Forest, conseiller à Santé Canada et professeur de science politique à l’Université Laval de Québec. Il peut aussi refuser d’assurer un patient à risques ou augmenter sa prime.»
Dans un tel système, les médecins ont également moins de liberté professionnelle. «Aux Etats-Unis, avant de prescrire un examen, ils doivent vérifier s’il sera couvert par l’assureur du patient», fait remarquer M. Forest. Veut-on vraiment que ce soit un assureur, plutôt qu’un médecin, qui décide des soins à prodiguer à un malade?
Au Québec, même les médecins qui ont fait le saut vers le «vrai» privé rejettent un tel système. «Il ne faut surtout pas imiter le système américain», dit le Dr Nicolas Duval, qui souhaite plutôt que le privé soit partenaire d’un système public fort.
Contrairement à une idée largement répandue, un système totalement privé coûte plus cher. «Personne ne se préoccupe de contenir les coûts», observe André-Pierre Contandriopoulos. Aux Etats-Unis, selon les statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques, les dépenses de santé par habitant en 2001 représentaient 7600 $ par année. En comparaison, le Canada a déboursé 4300 $ et la France, 4000 $. Or la population américaine n’est pas en meilleure santé pour autant. «La nécessité de générer des profits pour les investisseurs aggrave le facteur coût», dit le Dr Norman Kalant.
«En prônant la privatisation comme moyen de contenir les coûts de la santé, on semble faire abstraction de l’exemple des médicaments», souligne le journaliste Yanick Villedieu. Ils sont produits par le privé, achetés avec de l’argent privé, souvent remboursés par des assurances privées… et coûtent, en moyenne, 10 pour 100 de plus chaque année au système de santé.
Il reste qu’il existe au Québec une clientèle pour le «vrai» privé, et elle n’est pas composée que de patients aisés. «Je soigne des gens ordinaires, comme des agriculteurs et des entrepreneurs de la construction qui décident de s’endetter pour que je les opère vite», dit le Dr Duval. Pour eux, les interminables délais du public ou une convalescence en plein été se traduiraient par d’importantes pertes de revenus.
Pour de nombreux experts, le meilleur moyen de contenir la détérioration du public comme les aberrations du privé réside dans un partenariat de ces deux systèmes. «Mais il est primordial que l’on s’assure d’abord de sauvegarder les principes directeurs d’un système public fort et universel», rappelle André-Pierre Contandriopoulos.
Pour Michel Clair, le plus grand danger serait le statu quo. «Je tiens à la solidarité d’un financement public du système de santé, assure-t-il. Mais, pour garder un système à une vitesse, il faut intégrer le privé. Si on ne le fait pas, il se développera de toute façon et finira par miner la qualité du public.» Beaucoup de médecins pensent la même chose : peu importe que les services soient offerts par le privé ou le public, du moment que notre système demeure universel et financé publiquement.
«On devrait même assurer une plus grande gratuité des services du privé qui libèrent les hôpitaux, comme la radiologie et la chirurgie de la cataracte. Mes patients au salaire mi-nimum sont incapables de payer ces frais», estime le Dr Jasserand.
Stagiaire en médecine vétérinaire, Julie Collins a préféré s’endetter de 12 000 $ en se tournant vers le privé pour une opération de la hanche qui a nécessité huit semaines de convalescence. Dans le public, elle aurait subi cette intervention au milieu de l’année scolaire et aurait perdu sa session de stage, ce qui aurait retardé d’un an son entrée sur le marché du travail… et sa capacité de cotiser pour faire fonctionner le système de santé!
Un symptôme de plus que le système public a de sérieuses défaillances
Les medecins consultés, mais oubliés
Quel est le message envoyé aux médecins qui croient encore en un système de santé public fort et capable de s'adapter aux besoins de la population? À ceux qui pensaient entreprendre des études médicales? Aux citoyens? Il semble qu'il y aura toujours quelqu'un, au gouvernement, pour justifier ces façons de faire et ces lois au nom de l'intérêt public et d'un cadre financier immuable. Doutons qu'arrivent à convaincre et à rassembler autour d'un quelconque projet ceux qui privilégient l'autoritarisme comme façon de gouverner, l'absence de reconnaissance des initiatives déjà mises en place par les médecins du réseau public, l'absence de considération des recommandations sur l'organisation des services formulées par le corps médical, l'asphyxie des conditions de pratique hospitalière dans les disciplines chirurgicales, l'encouragement à la pratique hors RAMQ et la punition pour ceux qui n'acceptent pas de plier l'échine.
http://www.ledevoir.com/2006/07/06/113029.html texte complet
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