29 janvier 2007

une zone grise dans les cliniques privé

Cyberpresse | Opinions


L'ouverture la semaine dernière de la clinique Rockland MD a relancé le débat sur le rôle du secteur privé en santé. Des experts ont soutenu que les frais imposés par cette clinique étaient «illégaux», le Parti québécois a parlé de «dérive». Le ministre de la Santé, Philippe Couillard, a soutenu qu'il n'y avait là rien de nouveau ou d'inquiétant. Qu'en est-il?

Comme M. Couillard et une majorité de Québécois, nous sommes favorables à un rôle accru pour la pratique médicale privée. Cependant, nous croyons essentiel que cette ouverture au privé soit limitée, transparente et contrôlée, afin de prévenir tout abus ou dérapage. Cela exige que les règles soient claires. Or, l'ouverture de Rockland MD a permis de constater qu'elles ne le sont pas du tout.

Il existe déjà au Québec des établissements de santé privés où sont offertes diverses chirurgies. La particularité de Rockland MD - de même que d'une autre clinique du genre ouverte il y a quelques mois à Laval -, c'est que la chirurgie comme telle, l'acte médical, est à la charge de l'État tandis que le patient doit payer de sa poche des frais accessoires pouvant s'élever à plusieurs centaines de dollars. Des juristes estiment que cette façon de faire viole les lois québécoise et canadienne sur la santé. Selon eux, quand l'État paie un acte médical, il doit payer la totalité des coûts, de sorte que tous les patients soient sur le même pied, peu importe leurs moyens financiers.




Le ministre Couillard rétorque que la Loi sur l'assurance maladie et l'entente régissant la rémunération des médecins spécialistes permettent à ces derniers d'imposer, lorsqu'ils travaillent en cabinet privé, des frais accessoires. L'entente en question prévoit en effet qu'un spécialiste «peut demander au malade compensation pour certains frais de pratique», précisant que «ces frais comprennent les médicaments et les agents anesthésiques».

Jusqu'à aujourd'hui, ce texte était interprété de manière restrictive : les seuls frais accessoires autorisés étaient ceux relatifs aux médicaments et anesthésiants administrés en cabinet privé. En réalité toutefois, le libellé de l'entente n'exclut pas d'autres frais; il dit seulement que les frais de pratique «comprennent» les médicaments et anesthésiants. Les cliniques semi-privées sont-elles en droit de faire payer par leurs patients le salaire de leurs infirmières, l'équipement, le loyer, leur marge de profit? Il y a là une grande zone grise.

Adoptée en décembre dernier, la loi 33 encadrera la pratique des cliniques chirurgicales privées, désormais appelées «centres médicaux spécialisés». Elles devront obtenir un permis, satisfaire des normes de qualité élevées, afficher de manière bien visible les frais qu'elles exigent de leurs patients. C'est une amélioration notable par rapport au vide qui existait jusque là. Mais en raison du flou législatif décrit plus haut, les malades ne sauront toujours pas clairement pour quels services et biens les cliniques ont le droit d'exiger compensation. Et comme on prévoit que peu de cliniques du genre ouvriront leurs portes, le patient pourra difficilement comparer les prix. Il se retrouvera à la merci de l'appétit financier des propriétaires des cliniques.

Le ministre de la Santé et la Fédération des médecins spécialistes doivent donc s'entendre au plus tôt sur une définition exhaustive des frais accessoires et sur des ordres de grandeur jugés raisonnables. Le Québec est à l'aube d'un ajustement important du fonctionnement de son système de santé. Si on ne veut pas rater ce virage, il faut que les règles soient claires pour tous.