25 janvier 2007

Déshabiller Pierre pour habiller Jacques

Libre-Opinion: Péril pour les cliniques externes de pédopsychiatrie

Nicole Nadeau, Pédopsychiatre, Clinique externe de pédopsychiatrie, Hôpital Sainte-Justine
Sylvaine De Plaen, Pédopsychiatre, Clinique externe de pédopsychiatrie, Hôpital Sainte-Justine

Édition du lundi 22 janvier 2007
Mots clés : Philippe Couillard, Plan d'action en santé mentale, médecins psychiatres, Médecin, santé, Québec (province)


Nous joignons nos voix à celles de nos collègues pédopsychiatres de Québec ainsi qu'à celle du président de l'Association des médecins psychiatres du Québec, cités récemment dans Le Devoir («Les Psychiatres s'insurgent», 15 janvier 2007), pour dénoncer le Plan d'action en santé mentale 2005-10 du ministre de la Santé Philippe Couillard.

Constatant, tout comme nous d'ailleurs, l'insuffisance des ressources en santé mentale de l'enfant, le ministre a cru bon y remédier en sabrant les équipes de pédopsychiatrie (les deuxième et troisième ligne) pour aller garnir les équipes de santé mentale de la première ligne: déshabiller Pierre pour habiller Jacques.

Au cours des dernières années, nous avons eu à travailler dans un réseau de santé mentale de plus en plus dépourvu des ressources nécessaires pour répondre adéquatement aux besoins des enfants qui consultent nos cliniques externes de pédopsychiatrie. Cette situation a entraîné une restriction toujours plus grande des services offerts, tant en matière de disponibilité que de durée, chaque équipe comptant sur une autre pour assurer ce moyen ou long terme dont plus personne ne semble pouvoir prendre la responsabilité.

Nous estimons avoir fait des efforts considérables afin de rentabiliser l'utilisation des ressources humaines disponibles et d'articuler nos services spécialisés de pédopsychiatrie avec ceux de la première ligne, c'est-à-dire les CLSC, le réseau scolaire et les services sociaux. Le Plan d'action en santé mentale ne reconnaît pas ces efforts et impose de façon unilatérale des compressions de personnel spécialisé au sein même des cliniques externes de pédopsychiatrie.

Expertise mise à mal

Grâce à nos équipes de professionnels très qualifiés, nous avons développé une expertise tant dans la dispensation de soins directs en pédopsychiatrie que dans le travail de liaison (les soins indirects) entre la pédopsychiatrie et la première ligne. Le maintien de la qualité et de l'expertise des cliniques externes de pédopsychiatrie dépend du bon fonctionnement de nos équipes multidisciplinaires, condition essentielle pour travailler la complexité de nos situations cliniques.

Pour pratiquer de façon adéquate et selon les standards de notre profession, nous avons besoin des professionnels des disciplines connexes que sont la psychologie, la neuropsychologie, l'orthophonie, l'ergothérapie, la psychomotricité, le service social, la psychopédagogie, la psychoéducation, tant pour diagnostiquer que pour traiter nos patients. Ces professionnels sont essentiels à notre fonctionnement, ils sont nos équipements spécialisés. Demanderait-on à un neurochirurgien de continuer à opérer tout en le délestant de son plateau technique?

Comment pouvons-nous assister au démantèlement de nos équipes de professionnels et à la perte d'une expertise unique sans nous indigner? Comment ferons-nous pour recevoir des enfants toujours plus atteints dans leur fonctionnement, donc nécessitant davantage de temps et d'expertise professionnelle, si nos services sont ainsi dégarnis?

Nos professionnels ne doivent pas aller combler des ressources déficientes, mais plutôt servir d'appui aux intervenants de première ligne tout en conservant leur implication dans nos services, condition essentielle au maintien de notre propre fonctionnement.

Spécialité fragile

La pédopsychiatrie demeure une spécialité fragile, trop souvent remise en question. Pourtant, nous savons que les problèmes non traités pendant l'enfance et l'adolescence peuvent persister jusqu'à l'âge adulte et entraver sérieusement le fonctionnement des individus atteints.

À notre avis, c'est le maintien même de notre champ de travail qui risque de se trouver compromis par le plan d'action du ministre Couillard. En restreignant de plus en plus le rôle de pédopsychiatre à celui de consultant, dépourvu de l'expérience et de la responsabilité du suivi clinique, ce plan d'action appauvrira notre discipline plutôt que de l'enrichir, et ce, au détriment des patients.

Les services aux enfants ne doivent pas faire l'objet d'une expérimentation au nom d'une idéologie qui semble opposer la notion de santé mentale à celle de pédopsychiatrie, sans tenir compte de la complexité des réalités cliniques auxquelles nos équipes de pédopsychiatrie sont quotidiennement confrontées et des besoins des premiers concernés, nos jeunes patients et leurs familles. Le Plan d'action en santé mentale vise la mauvaise cible en attaquant les équipes de pédopsychiatrie plutôt que le manque chronique de ressources destinées aux enfants en difficulté.