7 février 2007

Urgences: «C'est clair que ça se détériore»

Une salle d'attente bondée. Des patients couchés des heures sur une civière. Du personnel débordé. Des couloirs bondés. Les urgences ne vont pas mieux qu'avant. C'est le constat que font des médecins sur le terrain. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, voit pourtant une lueur d'espoir à l'horizon.

Après une légère amélioration, la situation se détériore dans les urgences. Au point où elle atteint presque le niveau qui avait cours en 2002-2003, avant l'arrivée au pouvoir des libéraux.

L'année 2006-2007 est particulièrement difficile. C'est ce que révèle une compilation faite par le Comité de coordination national des urgences, que La Presse a obtenue.

Les données disponibles fournissent un portrait depuis le 1er avril 2006 -début de l'année financière- jusqu'à décembre. Les statistiques fournies depuis 2002-2003 montrent aussi l'évolution de la situation.

Le portrait d'ensemble montre une légère amélioration, suivie d'une nouvelle dégradation.

«C'est clair que ça se détériore. Nous sommes déçus et inquiets», commente d'ailleurs le Dr Alain Vadeboncoeur, président de l'Association des spécialistes en médecine d'urgence du Québec.

Même si l'année 2006-2007 n'est pas encore terminée, il est clair que la durée moyenne de séjour dans les urgences a légèrement augmenté, comparativement à l'an dernier. La durée moyenne de séjour indique le nombre d'heures qu'un patient passe sur une civière aux urgences avant de recevoir son congé ou d'être hospitalisé dans une unité de soins.

Pour l'année en cours, qui se termine le 31 mars, cette durée moyenne est de 15,8 heures. L'an dernier, elle était de 15,2 heures.

Le Dr Vadeboncoeur travaille aux urgences de l'Institut de cardiologie de Montréal. Il constate tous les jours les problèmes qui se vivent sur le terrain. De façon générale, le personnel est débordé et fatigué. Les urgences sont bondées. Des patients sont couchés dans les couloirs.

«La situation est très pénible actuellement de l'avis de tout le monde qui travaille dans le milieu», soutient le Dr Vadeboncoeur.



Hausse de l'affluence



Au cours des quatre dernières années, la fréquentation des hôpitaux n'a cessé d'augmenter. Il y a près de 20 % plus de patients qu'il y en avait en 2002-2003. L'augmentation de personnes âgées est de 13 %.

Cette année, un virus respiratoire, suivi de la gastroentérite et maintenant de l'influenza saisonnière, finissent de compliquer la situation. Surtout pour la clientèle âgée, plus vulnérable.

L'Association des médecins d'urgence du Québec fait le même constat. Malgré les efforts, le bilan final reste sensiblement le même qu'en 2002-2003.

«Pour nous, c'est une grande déception, lance le Dr Laurent Vanier, président de l'UMQ. Il y a certainement des mesures qui ont fonctionné parce que sinon, la situation serait forcément pire que celle que l'on vit actuellement. Mais nous demeurons dans un contexte où ce n'est pas suffisant pour satisfaire des normes minimales de pratique.»

Le gouvernement a dégagé plusieurs millions de dollars pour enrayer le problème d'engorgement dans les urgences. En décembre, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, a annoncé une injection supplémentaire et immédiate de 16 millions. Cet argent servira surtout à rendre plus de lits disponibles. Mais s'il manque de personnel, notamment en soins infirmiers, il est impossible d'ouvrir de nouveaux lits.



Durée des séjours



De façon générale, la durée moyenne des séjours aux urgences n'a pas diminué entre 2002-2003 et aujourd'hui. Elle était de 15,9 heures il y a quatre ans. Elle est maintenant de 15,8 heures. Plus d'un patient sur cinq passe 24 heures ou plus aux urgences. Le pourcentage est même plus important qu'en 2002-2003. Il était alors de 20,2 %. Il est aujourd'hui de 21,1 %. La seule bonne nouvelle pour ces malades est qu'ils passent un peu moins de temps sur une civière, en attente d'un congé ou d'une hospitalisation. Il y a quatre ans, ils attendaient en moyenne 46 heures. Aujourd'hui, ils patientent quatre heures de moins.

Le gouvernement Charest surveille surtout les séjours de 48 heures et plus aux urgences. C'est-à-dire les patients qui passent plus de deux jours sur une civière des urgences.

On note une légère amélioration depuis 2002-2003. Le pourcentage de ces patients est passé de 6,1 % à 5,5 % cette année. Par contre, la moyenne de ce séjour se situe à plus de 68 heures, ce qui est encore long.

Plus de la moitié des 16 régions du Québec ont vu leur situation se dégrader au cours des dernières années. L'Outaouais et la Mauricie-Centre-du-Québec connaissent de grosses difficultés, la première en ce qui a trait aux séjours de 24 heures ou plus et la seconde, pour la durée moyenne du séjour aux urgences.

Même si leur situation s'est quelque peu détériorée, des régions comme la Capitale-Nationale, la Gaspésie et Chaudière-Appalaches maintiennent le cap. La durée moyenne du séjour se situe autour de 12 heures, soit l'objectif fixé par le gouvernement. Un objectif que bien peu d'hôpitaux atteignent.

Du côté de Montréal, la situation s'est détériorée cette année. Par contre, la métropole se classe mieux qu'en 2002-2003. Mais c'est encore là et dans les environs que les pires problèmes d'engorgement existent aux urgences.

Des données encourageantes se dessinent malgré tout. Même si la clientèle aux prises avec des problèmes de santé mentale ne cesse d'augmenter, la durée moyenne de séjour aux urgences pour ces patients a diminué au cours des quatre dernières années. Mais elle frôle encore les 20 heures.



Peu d'évolution dans les urgences du Québec entre 2002-2003 et 2006-2007



Durée moyenne du séjour / % séjour de 24 h ou plus / % séjour de 48 h et plus

2002-2003: 15,9 h / 20,20% / 6,10%

2003-2004: 16,3 h / 21,40% / 6,70%

2004-2005: 15,7 h / 20,60% / 5,60%

2005-2006: 15,2 h / 19,60% / 4,80%

2006-2007: 15,8 h / 21,10% / 5,50%

* Selon le Comité de coordination nationale des urgences.

Hôpital Sainte-Justine: les infirmières n’en peuvent plus

Confrontées à un problème de déficit de personnel depuis plus de six ans, les infirmières de l’hôpital Sainte-Justine sont au bord de l’épuisement. Et certaines se disent prêtes à faire de la prison pour refuser l’ordre de leur employeur à travailler davantage.

« Le gouvernement nous laisse la responsabilité de trouver des solutions, ce qui est inacceptable », dit Francine Lévesque, vice-présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux, une des branches de la CSN.

Hier matin, en conférence de presse, Mme Lévesque et deux autres représentantes des infirmières n’en finissaient plus de multiplier les exemples pour illustrer les problèmes de surmenage dans l’institution.

Selon elle, l’hôpital pédiatrique, qui célèbre son centenaire cette année, connaît une pénurie d’infirmières depuis 2000. Or, en dépit d’efforts communs entre le personnel et l’employeur, on est incapable de surmonter le problème. Actuellement, l’institution compterait environ 1200 infirmières mais 168 postes sont affichés.

Pour combler les quarts de travail, l’hôpital oblige les infirmières à offrir des gardes (jours de disponibilité) et affiche des horaires d’heures supplémentaires pré-autorisés. Certaines employées se font avertir avec seulement une heure d’avis qu’elles doivent faire un quart de travail supplémentaire.

« L’employeur nous avait parlé de mesures temporaires mais elles s’éternisent, dénonce Suzanne Nobile, présidente du syndicat. Celles qui n’acceptent ce qu’on leur demande en surtemps font face à des mesures disciplinaires. »

Le syndicat demande une rencontre avec le ministre de la Santé, Philippe Couillard, l’Agence de santé et des services sociaux de Montréal et l’Ordre des infirmières pour trouver des solutions.

Une semaine de travail normale est de 36,25 heures. Or, certaines infirmières feraient jusqu’au double du temps dans une semaine, dénonce-t-on. Une telle situation a un impact sur la qualité des soins et sur la conciliation travail-famille.

Le syndicat prétend qu’au cours de chacune des deux dernières années, la direction a dû payer 10 000 heures de travail en heures supplémentaires. Or, 10 000 heures divisées par 1200 infirmières donne un lot supplémentaire de 8,33 heures travaillées… en un an. Confronté à ses propres chiffres, le syndicat a eu de la difficulté à s’expliquer clairement.



Pas la pire



« Mathématiquement, la situation à Sainte-Justine n’est pas la plus aiguë », lance Christiane Rouleau, responsable de la main-d’œuvre à l’Agence de santé et des services sociaux de Montréal. Tous les centres hospitaliers de courte durée de l’île de Montréal font face à une grave pénurie d’infirmières et aussi d’autres métiers de la santé.

Le fait que 40 % des infirmières travaillant dans l’île n’y résident pas, le coût des loyers et la multiplication des offres de travailler en région où dans des conditions moins stressantes, expliquent ce manque à gagner, dit-elle. Depuis quelques années, des moyens ont été pris pour faire face à la crise, comme l’augmentation des cohortes de diplômés et des primes additionnelles en heures supplémentaires. « Mais il n’y a pas de solutions à court terme », dit Mme Rouleau.

Hier, La Presse rappelait que dans l’ensemble du Québec, quelque 1500 postes d’infirmières étaient à pourvoir et que si rien n’était fait, 19 000 postes seraient vacants en 2019-2020.

De passage hier à Laval, le ministre de la Santé, Philippe Couillard, a reconnu l’ampleur du problème. Mais, a-t-il ajouté, la solution ne passe pas uniquement par un rehaussement des salaires et des conditions de travail. Il faut aussi repenser la définition des tâches des infirmières, par rapport aux médecins et aux auxiliaires, de même que la reconnaissance du poste d’infirmière praticienne.

De son côté, la présidente de l’Ordre des infirmières du Québec, Ginette Desrosiers, affirme que le ministère de la Santé doit cesser de gérer ce problème de pénurie en jonglant avec des chiffres globaux. « Il faut davantage de planification sectorielle », dit-elle. Cela signifie que le ministère doit identifier les secteurs de la profession où les manques sont les plus criants et agir en priorité en fonction de ces secteurs.